Borgne

C’est toujours assez difficile de débuter une page blanche, je veux dire dans quelle mesure un sujet mérite d’être plus noirci qu’un autre ? Je vous dis ça mais j’ai bien mes priorités, comme tout le monde vous me direz. Dans quelle mesure ce que j’ai à dire est plus important, dans quelle mesure est-ce plus important ? Dans quelle mesure je peux me plaindre de mon taff de merde alors que la Directrice d’Amnesty internationale s’est faite enfermer pour défendre des gens ? Dans quelle mesure puis-je parler de mes amourettes quand dans une partie du monde les coups de foudre ne se voient plus trop cachés par les bombes dans le ciel. Moi je me couche avec une bombe, lui sous les bombes. Moi je parle de mes couilles bleues et de ma dalle de chien, lui des casques bleus, de sa peur bleue de se voir écraser comme un chien. C’est facile pour moi, il n’y a pas que la page qui est blanche, ma vie l’est, mes privilèges le sont, mon ordi l’est. Pourtant bâti sur du sang, je ne parle pas que du MAC et de son colbat rouge sang, je parle de notre existence en Occident ? Pour seule fenêtre Courrier Internationale sur le monde, pour seule porte de sortie alcool et sortie. Bah qu’on est triste. Nous avons au moins une porte de sortie, eux sont à huit clos. Alors dites-moi ce que vous ressentez vraiment, dites-moi à quel point vous vous sentez coupable ? Toute manière on tendra toujours les micros vers vous, vers nous, nous qui nions, nous qui ne nouons plus, nous qui nous vouons à tout sauf à l’autre. Encore heureux que parfois on se retourne. Nettoyage ethnique à droite, réchauffement climatique en haut, pillage, viol, autodafé en bas, ignorance et ségrégation à gauche. Peut-être qu’avant de savoir où donner de la tête faudrait savoir où donner du cœur.

C’est toujours difficile d’enchainer sur une page à moitié blanche. Je veux dire quand tu commences de manière véhémente, dans quelle mesure tu ne perds pas ton lecteur ? J’aurais pu commencer d’une toute autre manière, parler de manière mielleuse, toucher les tailles de guêpes. J’aurais pu vous parler de cette innocente, de celle à la robe marinière mais pas échancrée. De celle pour qui pourtant d’emblée j’avais jeté l’ancre, et l’encre. Celle qui était si petite mais grande, si innocente au milieu de tant de culpabilité. Aura dégagée, houra enclenché. Parce que la foule l’acclame, la foule le clame haut et fort qu’elle est différente. Petite elle s’est faite secourir par une Pute, en pensant que c’était une dame qui veillait sur les gens dans son camion avec une bougie, symbole de son innocence. On les connait ces petites meufs simples mais belles. Ces petites vendeuses, agent au cinéma, au KFC mais qui sont tellement plus. Toutes ces filles à qui tu peux dire que tu es méchant mais pas malhonnête, que tu es impulsif mais pas malhonnête, que tu as menti mais pas que tu as été malhonnête. Ce genre de filles pour qui tu fais tout.

                  C’est toujours difficile de finir sur une page blanche, il y a un goût d’inachevé, comme une journée à la plage sur le sable blanc sans un coucher de soleil, comme une belle journée au quartier sans levée de Solex, comme un départ à la montagne sans feu allumé au Silex. Puis si l’ex de hier ne t’obstruait pas l’esprit, peut-être que la page serait noircie plus facilement. Dans quelle mesure noircir la page éclaire ta lanterne, dans quelle mesure tout cracher en bloc les aidera à lire entre les lignes, dans quelle mesure la grandeur de tes écrits sauve la petitesse de ton esprit. Hein ? Dans quelle mesure la petite tess vaut moins que le grand Haussmannien, dans quelle mesure un os malien vaut moins qu’un européen, dans quelle mesure nous sommes plus à même de nous occuper d’une culture que nous ne comprenons même pas ?

Il y a pas mal de choses que je trouve difficile, je me perds entre être subversif et être libre. Mais c’est lorsque je suis subversif que je me sens le plus libre. J’en suis là exister pour moi ou être contre vous. Parce que je ne peux pas, je ne peux pas laisser une page blanche de plus, vous laissez noircir le quotidien par votre pseudo candeur. Si vous saviez seulement que les lois du Karma ne sont pas violables. Parce qu’elles ne sont écrites nulle part, pas pour autant qu’il ne faut pas les consulter. Ce n’est pas parce qu’il est écrit nulle part qu’il faut s’engager qu’il faut fermer les yeux sur tout. Surtout lorsque votre existence joue dans la fin de certains.

Ne s’agit pas de morale, juste d’une feuille qui se rempli, juste d’un empli, une caisse de résonance pour des trucs qui ne trouvent pas assez échos selon moi. Je vous parle de la situation des femmes, de celle des Rohingyas, de l’Arabie Saoudite, des cinéastes pervers, des inégalités sociales, du racisme ambiant, du colbat, du chocolat et Nestlé, des pédophiles relâchés trop tôt. Je vous parle de tout ce qui rend à cran, de tout ce qui vous évoque un « à quand », à quand on règle ça, à quand on prend la mesure, à quand on arrête de saigner, à quand on arrête de signer pour ça ? Parce que jusqu’ici je vois les mêmes tributaires, les mêmes tribus se taire, les mêmes distributeurs. Je vous vois, je me vois, je les vois, mais j’entends rien.

 

Eymeric

Crédit photo : http://theclassyissue.com/post/166805412945

 

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