Haskell Junction : « Le soleil passe les frontières sans que les soldats tirent dessus »

Dans le cadre du FAB Bordeaux 2017, le metteur en scène Renaud Cojo a proposé une série de représentations du 12 octobre au 21 octobre de sa pièce, Haskell Junction au Tnba avant d’entamer une tournée nationale. Pièce qui s’apparente à un récit onirique abordant de manière totalement décalée le concept, tant polémique, de frontière.

La pièce commence, un décor enneigé se dévoile, des sapins descendent du plafond, un tronc d’arbre occupe la place centrale de la scène ; pas de doute, nous sommes au Canada. Plus précisément, dans la ville qui deviendra Stanstead après que John Collins et Thomas Valentine, complètement bourrés au Whisky, soient venus tracer la frontière qui sépare les Etats Unis du Canada à la fin du 18ème siècle. En théorie ils devaient suivre le 45ème parallèle. En théorie, oui, car on sait tous que l’alcool n’aide pas vraiment à tracer une ligne droite.

Elément qui peut paraître anecdotique, mais pourtant qui est essentiel puisque tout part de là. Cette erreur infime qui marquera de manière considérable l’histoire des deux pays.

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Mais alors c’est tout ? Il suffirait de tracer un trait sur une carte pour déterminer une frontière ? Peu importe la personne qui la trace ? Cela nous semble absurde et pourtant c’est bien ainsi que certaines frontières ont été « créé ». Pas plus compliqué que de tracer un trait sur une carte.

« Les bons murs font les bons amis. »

Plus que jamais au cœur de l’actualité, le concept de frontière a soulevé, et soulève, encore de nombreuses problématiques, entrainant parfois des conséquences désastreuses. La pièce Haskell Junction nous fait réfléchir sur ces problématiques et sur l’absurdité qui peut être à l’origine de la création d’une frontière. Absurdité qui se traduit sur scène.

Nous avons d’abord du mal à comprendre la cohérence des différents éléments qui nous sont présentés. On reste, comment dire, un peu étonné (le mot est faible) par un Pikachu sauvage qui apparaît, des gilets de sauvetages qui tombent du ciel, ou encore un verre de terre géant qui mange un hamburger. Il faut s’accrocher, ou être aussi perché que la pièce, pour essayer d’y voir clair. Haskell Junction s’insère dans un univers fantasmagorique jouant avec nos rapports aux frontières (rêvées, idéalisées, …).

Pourtant tout cela a bien un sens, et répond plus que jamais aux questionnements à l’origine de la pièce. Qu’est ce qu’une frontière ? Peut on légitimer la scission de deux territoires de manière radicale par une simple ligne (réelle ou non) ?

La représentation théâtrale, riche en costumes, musiques, décors, s’accompagne d’une performance filmique projetée sur grand écran qui retrace l’histoire de Stanstead. Nous faisons la rencontre de la ville, de son histoire et de Haskell Opera House. Le nom de la pièce a pour origine cet édifice culturel, à la jonction de deux Etats, qui se voit être séparé par une bande noire, matérialisant ainsi la frontière.

Renaud Cojo

 Les spectateurs sont alors en Amérique tout en regardant un spectacle qui se déroule au Canada, la scène étant de l’autre côté de cette fameuse ligne. Renaud Cojo, le metteur en scène, possède même un siège dans cet opéra qui se situe précisément sur cette frontière noire. L’idée d’un point à l’exact centre des deux Etats a de quoi donner le vertige.

L’association cinéma-théâtre fonctionne incroyablement bien. Le dosage est parfait, les deux performances se répondent et nous répondent en même temps. Le spectateur comprend tout, ou presque, des éléments si confus de la première partie de la représentation.

Chacun chez soi, c’est bien ce qu’on dit non ? que se passerait-il si on échangeait de « chez soi » ?

Si nous sommes satisfaits d’avoir pu comprendre ce qui nous surprenait tant pendant la pièce, ce plaisir est éphémère. En effet, nous repartons avec encore plus de questions quant à nos rapports aux frontières. « Nos » rapports, ceux de l’être humain qui est capable de voir son semblable devenir autre par la simple traversée d’une ligne. Le mot « étranger » signifierait avoir dépassé, ne serait que d’un centimètre, cette ligne ? Fait justifié par qui et par quoi ? Cette limite se doit-elle d’être infranchissable pour exister ?

La pièce fait alors écho à de récents faits d’actualité, que ce soit par le volonté affirmée du président des Etats Unis de vouloir matérialiser physiquement cette limite, ou bien par les désastreuses conséquences que peut entrainer ce besoin, cette nécessité, de traverser ces frontières.

haskelltrumpLa représentation se termine par des corps étendus sur le sable, qui n’est pas sans rappeler les images effroyables des migrants tentant vainement de rejoindre cette terre rêvée pour qui la frontière représente la porte ouverte à une nouvelle odyssée. Représentation qui n’est pas toujours identique pour les Etats de l’autre côté de cette limite. Ligne imaginaire « absurde », pourtant loin d’être insignifiante.

 

Vanessa Ardouin

Crédits Photo :

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